Au Salon de l’agriculture, Hollande n’évite pas les injures

Il savait que ce ne serait pas une partie de plaisir, mais il ne s’est pas dérobé. Alors que Nicolas Sarkozy avait préféré ne pas inaugurer le Salon de l’agriculture en 2010 en raison d’un contexte déjà tendu, choisissant de ne se rendre porte de Versailles que lors du week-end de clôture, François Hollande a affronté ses responsabilités ce samedi.

Il est 6h46, quand il foule la moquette du hall 1. Les travées sont encore vides puisque le salon n’est pas encore ouvert au public mais l’élevage français (porc, bœuf, lait) traverse une crise sans précédent. Le chef de l’Etat est donc protégé des seuls exposants par un important dispositif de sécurité : pas moins de trois cordons de policiers. Et accompagné de son ministre de l’Agriculture Stéphane le Foll mais aussi et surtout de Xavier Beulin, le très puissant patron de la FNSEA, la plus importante représentation syndicale de la profession. 

Paris, le 27 février 2016.Visite de François HOLLANDE et Stephane Le FOLL au Salon de l'agriculture.Policiers en civil, chargés de protéger la visite de François HOLLANDE et jeunes éleveurs en colère.Photo Laurent Troude pour Libération

Ce qui a eu le don de provoquer l’ire de nombre d’agriculteurs. «Mais qu’est ce que Beulin fout avec lui ? S’interrogeait Julien, jeune producteur de lait isérois non syndiqué. Alors qu’on crève, Beulin et Hollande se promènent main dans la main au salon, tranquilles.» Bernard Lannes, président du syndicat Coordination rurale, choisissait d’en rire. Jaune : «On est ici chez Beulin. La paix sociale sur le salon a été négociée entre Manuel Valls et la FNSEA pour faire de belles photos aujourd’hui.»

«Je suis éleveur, je meurs»

Non loin, Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne, syndicat agricole classé à gauche, ne disait pas autre chose : «Beulin a négocié une baisse de 7% des cotisations sociales pour que le salon se passe bien. C’est un grand maquignonnage sur le dos des paysans.» Et l’agriculteur syndicaliste de renchérir : «Les paysans meurent, et on en est à faire des photos du Président posant la main sur le cul des vaches.» 

De fait, François Hollande a salué comme il se devait Cerise, vache bazadaise de huit ans, race à viande d’Aquitaine et de Midi-Pyrénées, miss du salon 2015. Puis il a emprunté le parcours balisé, qui avait été préparé par son équipe. Et c’est là que les choses se sont gâtées. Prévisible ? Oui et non. Oui car l’exaspération chez les éleveurs est telle depuis bientôt un an qu’il eut été étrange, pour ne pas dire suspect, qu’elle ne s’exprime pas lors de la visite du chef de l’Etat. Non, car la présence du syndicaliste Xavier Beulin au côté du Président avait valeur de symbole. Comprendre : je suis proche de François Hollande, je travaille avec lui à des solutions de sortie de crise, laissez-moi faire et surtout faites-moi confiance.

C’était sans compter sur une poignée de Jeunes agriculteurs (JA), la frange jeunesse de la FNSEA, qui, vêtus de tee-shirt noirs frappés de la mention «Je suis éleveur, je meurs», ont copieusement chahuté François Hollande. Il était 7h43. Le Président a d’abord essuyé des sifflets. Puis des injonctions à démissionner.

Paris, le 27 février 2016.Visite de François HOLLANDE et Stephane Le FOLL au Salon de l'agriculture.Photo. Laurent Troude pour Libération

La tension est montée subitement. Etonnamment incontrôlée par la FNSEA : «Bon à rien», «Connard», «Il s’en fout complètement de nous», «Fumier»… Puis du crottin a été lancé. Sans réussir à atteindre le chef de l’Etat. A cet instant, Xavier Beulin a compris qu’il ne maîtrisait plus rien dans ses rangs. Tout comme quand, presqu’une heure plus tard, des membres de son syndicat ont entrepris de saccager, «démonter» selon leur formule, le stand du ministère de l’Agriculture. Action qui a conduit à une échauffourée entre syndicalistes et policiers. Et à l’interpellation musclée de deux membres de la FNSEA, qui ne feront l’objet d’aucune poursuite, a promis le préfet de police de Paris, après que les manifestants ont accepté de se disperser.

François Hollande joue l’empathie

Après les injures et sifflets des Jeunes agriculteurs, lesquels ont été prestement évacués de l’enceinte, le Président a semblé ébranlé. Comme si les choses ne s’étaient pas passées comme prévu. Sous-entendu, Xavier Beulin n’avait pas joué le rôle escompté de parapluie, voire de paratonnerre.

Peu après, François Hollande s’est exprimé devant quelques journalistes, affirmant son engagement à agir face aux diktats dont l’agriculture française accuse Bruxelles : «Les cris de détresse, je les entends»«si je suis venu au salon ce n’est pas simplement pour faire un tour, c’est pour entendre y compris des cris de douleur, des cris de souffrance» «si je suis là aujourd’hui c’est pour montrer qu’il y a une solidarité nationale»«on va tout faire pour aider l’agriculture, car en défendant l’agriculture je défends toute la nation».

Il a joué l’empathie avec ses contempteurs, reprenant la plupart de leur revendications. En lâchant qu’il fallait pas «confondre toutes les colères», celle des agriculteurs et celle qui monte contre la réforme du Code du travail, le Président a trahi son inquiétude et sa faiblesse politique. De cette visite restera l’image d’un Président hué et injurié par les Jeunes agriculteurs. Tout ce que l’Elysée avait tenté d’éviter. 

François Hollande n’est cependant pas le premier a essuyer ce type de mésaventure. On se souvient de Lionel Jospin, alors Premier ministre, et de son ministre de l’Agriculture Jean Glavany, qui, en 2001, avaient été sifflés par des centaines d’éleveurs bovins. Et avaient vu des œufs projetés dans leur direction. Sans les atteindre. C’est aussi lors de son son premier salon en tant que Président, en 2008 que Nicolas Sarkozy avait lâché son fameux «Casse-toi pauvre con» à l’adresse d’un visiteur qui refusait de lui serrer la main.

A 12h30, soit six heures après son arrivée, François Hollande est remonté dans sa voiture. Où il a pu mesurer combien pour un Président (ou un Premier ministre) en exercice, l’inauguration du salon de l’Agriculture se pratique sans filet. 

Philippe Brochen