Déjà condamné à payer plus de 400 000 euros de dommages et intérêts à des salariés pénalisés par la lenteur des procédures, l’Etat est à nouveau attaqué par le Syndicat des avocats de France. Faute lourde. L’Etat français risque une fois de plus d’être condamné pour «dysfonctionnement du service public de la justice» prud’homale. En cause, ses délais anormalement longs : un salarié licencié abusivement doit trop souvent patienter quatre ans avant d’obtenir des dommages et intérêts. Mercredi après-midi, le Syndicat des avocats de France (SAF) a lancé une nouvelle rafale d’assignations en plaidant une dizaine de cas devant le TGI de Paris – plus de 200 autres mijotent devant d’autres tribunaux. Avec de grandes chances de succès. Au tournant de l’année 2010, le SAF avait lancé une première salve, une soixantaine d’assignations pour faute lourde, l’Etat français étant condamné globalement à plus de 400 000 euros de dommages et intérêts : quelques milliers d’euros, d’un à dix, par tête de pipe, selon la carence plus ou moins longue des tribunaux prud’homaux. A la lecture de ces jugements initiaux, reviennent toujours les mêmes termes : «délais anormalement longs», «encombrement des affaires», «déni de justice»… Ce ne sont pas les juges aux prud’hommes (élus par salariés et employeurs ), manifestement débordés, qui sont en cause, mais bien le gouvernement français : «Il revient à l’Etat de mettre en œuvre les moyens propres à assurer le service de la justice dans des délais raisonnables», lit-on dans un des jugements. Les prud’hommes ne manquent pas de juges mais de greffiers pour assurer la logistique. «L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par son fonctionnement défectueux», pointe un autre. Et encore : «Sa responsabilité est engagée par une faute lourde, constituée par une déficience caractérisée traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.» Début 2012, les premiers succès du SAF commençant à faire grand bruit, le PS, alors dans l’opposition, s’indignait et exigeait du gouvernement d’assurer «la protection des salariés en donnant aux Conseils des Prud’hommes les moyens nécessaires». Constat tellement accablant que Pierre Joxe, figure mythique, lui a consacré un livre, pragmatiquement intitulé: Soif de justice, au secours des juridictions sociales (Fayard). Quatre ans ont passé, rien n’a changé. Pour l’actuel bâtonnier de Paris, Frédéric Sicard, c’est le grand point noir du passage de Christiane Taubira à la Chancellerie : «Un tiers des posts prévus dans sa réforme des prud’hommes n’ont pas été affectés, faute de moyens budgétaires.» L’une des assignations du SAF plaidée mercredi ne peut que marteler : «L’Etat n’a toujours rien entrepris pour assurer aux justiciables la protection juridictionnelle qui leur est due.» Me Maude Beckers, avocate en pointe sur ces dossiers et animatrice du SAF, n’en revient toujours pas : «L’Etat français préfère payer des dommages et intérêts plutôt que de recruter. Mais avec les 400 000 euros déjà infligés, on peut rémunérer un greffier pendant seize ans.» Avec l’Etat d’urgence, la misère prud’homale est cet autre symptôme de la rupture entre la gauche au pouvoir et les milieux judiciaires, avocats et magistrats confondus.