« Une vision comptable étriquée et néfaste. » C’est en ces termes que les élus du comité central d’entreprise (CCE) de Radio France ont éreinté, mardi 21 juillet, les projets de leur direction, qui envisage « un éventuel plan de départs volontaires de 350 postes », comme le précisait récemment Mathieu Gallet dans un entretien au Monde.
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Trois mois après la fin de la longue grève qui a paralysé les antennes publiques, en mars et avril, la question de l’emploi ressurgit au sein de la Maison de la radio, à Paris. Les termes de l’équation sont connus : Radio France a inscrit, dans son budget initial pour 2015, un déficit de 21 millions d’euros, et prévoit un retour à l’équilibre « à horizon 2017 », comme le lui a demandé le gouvernement.
Aux yeux de la direction, un effort sur la masse salariale est inéluctable. Celle-ci représente 55 % des charges de l’entreprise. Les équipes de Mathieu Gallet estiment qu’il faut économiser 24 millions d’euros sur les charges de personnel. Une provision de 28,5 millions d’euros a été prévue en 2015 pour parer au coût de cet éventuel plan de départs, et la trajectoire envisagée prévoit un retour aux bénéfices en 2017.
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Mesures d’économies
Mais des experts mandatés par les élus, issus du cabinet Tandem, émettent des doutes sur cette perspective. Dans un rapport que Le Monde a pu consulter, ils estiment qu’une partie des économies prévues par la direction de l’entreprise sont hypothétiques et que « le retour à l’équilibre des comptes de Radio France ne paraît pas atteignable en 2017 ».
Mardi, la direction de l’entreprise a précisé quelques-uns des mesures d’économies qu’elle étudie : arrêt des émissions en ondes moyennes, fin 2015, et des longues ondes, fin 2016, révision du mode de diffusion de la radio Mouv’ (si l’objectif de 1 % d’audience n’est pas atteint mi-2016), économies sur les abonnements à la presse, réduction des CDD et des piges.
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Surtout, les experts du cabinet Tandem ont jeté une pierre dans le jardin de Mathieu Gallet en estimant qu’« un plan de départs volontaires n’est pas inéluctable, si le retour à l’équilibre est reporté à 2018 ». Ils s’appuient sur une estimation de l’« effet de noria », qui consiste à évaluer les économies engendrées par les départs en retraite de salariés, et leur remplacement par des employés plus jeunes, a priori moins bien rémunérés.
Poursuite des échanges
En conjuguant cet effet à une politique de remplacement d’un seul départ en retraite sur deux, le cabinet Tandem juge que l’économie générée se situe entre 23,2 millions d’euros et 38,1 millions d’euros sur la période 2015-2019, et que cela peut donc permettre à l’entreprise de retrouver l’équilibre en 2018.
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Au-delà de cette argumentation comptable, les experts assurent que la « mise en œuvre trop rapide d’un plan de départs volontaires casserait la dynamique impulsée par la mise en place de groupes de travail » qui réfléchissent actuellement, sous l’autorité d’un médiateur, à la réforme des modes de production, au réseau France Bleu et à la politique musicale.
Le médiateur nommé par le gouvernement, Dominique-Jean Chertier, doit achever sa mission vendredi 24 juillet, mais il est prévu que ces groupes de travail poursuivent leurs échanges à la rentrée. Comment déterminer une organisation-cible sans que ces discussions soient allées à leur terme ? C’est l’argument de bon sens repris par les élus, qui préviennent également que « le climat social rend irréaliste la mise en place d’un plan de départs volontaires », dans une entreprise encore très marquée par le conflit du printemps.
C’est pourquoi les syndicats ont demandé mardi aux administrateurs de Radio France « d’étudier l’hypothèse d’un retour à l’équilibre en 2018 sans plan de départs ». Une hypothèse dont la direction a estimé, mardi soir, qu’elle « mérite d’être approfondie ». « La question sera examinée avec les administrateurs, lors du prochain conseil d’administration du jeudi 23 juillet », a indiqué Radio France dans un communiqué.
Question de confiance
De son côté, Fleur Pellerin a précisé qu’il n’y avait « pas d’injonction ». « Je n’ai jamais dit qu’il fallait revenir à l’équilibre le 31 décembre 2017, a déclaré la ministre, mercredi matin sur France Culture. J’ai parlé d’horizon 2017, pas de date butoir. » « Il n’y a pas de tabou à examiner un scénario de retour à l’équilibre ultérieur », a-t-elle ajouté, tout en prévenant vouloir avant tout « un scénario crédible ». Au ministère, on assure que cette approche est partagée par Bercy.
De nouveau, la question est donc celle de la confiance envers la direction de Radio France et notamment son président, même si Fleur Pellerin répète qu’elle refuse « la personnalisation des choses ». Le jeu médiatique entre un PDG qui renvoie les arbitrages à « la tutelle » et un ministère qui affirme avoir été clair dans ses orientations, exprimées en avril dans une lettre de cadrage, menace de reprendre à tout moment.
Mais cette fois, les deux parties se disent d’accord pour étudier la piste proposée par les élus. Cela fait écho aux conclusions du médiateur, qui devrait insister, dans son rapport présenté au conseil d’administration jeudi, sur la nécessaire réforme de l’entreprise, dans un esprit de concertation avec les salariés. Ce qui semble indispensable pour éviter un nouveau conflit à la rentrée.